DAOJI

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Shitao (c’est sous ce surnom de courtoisie qu’il est le mieux connu en Chine, tandis qu’en Occident il est plus souvent désigné par son nom monastique de Daoji) est probablement l’un des peintres chinois les plus étudiés aujourd’hui, tant en Chine qu’à l’étranger. Créateur prolifique et versatile, il a laissé une œuvre immense dont la diversité et l’esprit d’expérimentation poussé audacieusement dans toutes les directions présentent une «modernité» bien faite pour répondre aux préoccupations de notre temps. Plus encore, à côté de son activité de peintre, il a fait œuvre de philosophe en livrant d’abord dans ses inscriptions de peintures et ensuite dans son ouvrage théorique, les Propos sur la peinture (Hua yulu ), une méditation esthétique dont la portée nous paraît aujourd’hui dépasser le domaine spécifique de la peinture chinoise pour atteindre des problèmes universels.

Un aristocrate

Le nom véritable de Shitao était Zhu Ruoji; il était de sang impérial, descendant en ligne directe du frère aîné de Zhu Yuanzhang, le fondateur de la dynastie Ming. Son père, prétendant au trône, fut assassiné (1645) dans les querelles qui, en Chine méridionale, opposèrent entre elles les factions rivales des légitimistes Ming au lendemain de l’usurpation mandchoue. Shitao fut alors pris en charge par quelques serviteurs fidèles; pour assurer la sécurité du jeune enfant et le protéger contre les persécutions dont la nouvelle dynastie poursuivait tous les individus suspects d’irrédentisme Ming, on le fit moine. L’enfance et l’adolescence de Shitao s’écoulèrent ainsi entièrement dans l’ombre des monastères; la formation qu’il y reçut le marqua intellectuellement – son célèbre traité sur la peinture est tout empreint de philosophie Chan – mais, à l’inverse d’un Shiqi (Kuncan) par exemple, on peut difficilement parler dans son cas de vocation monastique ou de refus actif opposé à l’ordre nouveau des Qing. Il n’avait pas choisi lui-même de s’éloigner du siècle; aussi, arrivé à l’âge mûr, une fois que la renommée et les relations sociales que lui avait valu son génie l’eurent définitivement mis à l’abri de tout danger, il reprit l’état laïc. Certains auteurs ont voulu voir en lui une sorte de héros patriotique protestant contre l’usurpation des Qing. La vérité n’est pas si simple: nous savons que par deux fois (Nankin, 1684; Yangzhou, 1689) il alla présenter ses hommages à l’empereur Kangxi qui faisait une tournée des provinces méridionales, et, durant son séjour à Pékin (1690-1692), il ne dédaigna pas de fréquenter l’aristocratie mandchoue et les hauts fonctionnaires impériaux avides d’accueillir un artiste illustre.

Shitao fut un grand voyageur: les principaux ports d’attache successifs de sa vie errante furent Xuancheng dans la province d’Anhui, où il fréquenta le peintre Mei Qing, son aîné de plusieurs années et intime ami, puis Nankin où il séjourna plus de neuf ans et où il semble avoir joui d’amitiés et de relations nombreuses, enfin Yangzhou où il se fixa définitivement à partir de 1693. Un riche mécénat bourgeois avait fait de Yang-zhou une métropole artistique et un centre de plaisirs raffinés, et Shitao trouva là un milieu particulièrement bien préparé à apprécier son génie.

Les métamorphoses d’un peintre éclectique

Les renseignements biographiques dont on dispose au sujet de Shitao sont pauvres et fragmentaires et ne permettent que malaisément de cerner une personnalité qui semble avoir été complexe et multiforme. On se heurte aux ambiguïtés de cet aristocrate orgueilleux qui resta toujours très conscient de ses ascendances impériales, mais ne répugna pas à faire la cour aux parvenus du nouveau régime, de ce moine qui tient à préciser qu’il n’a pas la tête rasée et demande qu’on ne le considère que comme un peintre. Protéiforme, il l’est surtout dans sa peinture: dans toute l’histoire de la peinture chinoise, on trouverait difficilement un artiste qui ait utilisé un registre aussi large et aussi déconcertant de métamorphoses stylistiques (le précepte de la métamorphose, ou transformation, constitue d’ailleurs un des grands thèmes théoriques de ses Propos sur la peinture ). Servi par sa virtuosité technique et sa culture classique, il se plaît à pasticher la peinture des Anciens, à la désintégrer, à la transformer; dans ses procédés, il passe délibérément d’un extrême à l’autre: de la technique posée et minutieuse à l’exécution fruste et brutale, des fausses naïvetés de l’archaïsme à l’audace moderne, tantôt sauvage, tantôt subtil et coulant, tantôt âpre et cassant. Moins à l’aise dans les grands formats, où la qualité de l’exécution n’est pas toujours à la mesure de la conception, il est incomparable dans le feuillet d’album où, par magie, les impondérables accidents de quelques taches d’encre suffisent à suggérer un microcosme aux ressources inépuisables. La singularité qui l’amena à signer ses peintures de plus de trente surnoms est très significative: ce Moi créateur dont il entendait substituer la radicale autonomie à l’enseignement des écoles et au respect des traditions se voulait véritablement universel et innombrable.

Chez lui, le théoricien reflète par son éclectisme cette préoccupation d’universalité: il réconcilie les données fondamentales de la cosmologie antique, du confucianisme, du taoïsme et du bouddhisme Chan pour proposer une explication synthétique de l’Acte du peintre , qui est conçu comme un pendant microcosmique à l’activité du Créateur de l’univers. Les dix-huit courts chapitres de son traité dense et ésotérique sont à juste titre considérés comme une expression suprême de la pensée esthétique chinoise, et leur message vient aujourd’hui rejoindre en Occident les recherches d’une pensée soucieuse à nouveau de retrouver le secret d’une réconciliation entre l’activité humaine et l’harmonie de l’univers.

L’art de Shitao ne pouvait être populaire, et en fait il ne fut vraiment apprécié que d’une élite restreinte, concentrée surtout à Yang-zhou, sa ville d’adoption. Il est symptomatique que la collection impériale à Pékin, dont les œuvres reflètent assez bien les courants du goût officiel à l’époque Qing, ne possède aucune peinture de Shitao, à l’exception d’une seule œuvre de circonstance exécutée en collaboration avec le peintre académique Wang Yuanqi. Mais à Yangzhou même son art fut directement à l’origine des audaces du fameux groupe des «huit excentriques» (Yangzhou ba guai) au XVIIIe siècle, et l’admiration que lui vouait l’élite des artistes individualistes et créateurs ne s’est jamais démentie, allant de pair du reste avec une certaine méfiance de la part des académistes: ainsi, un auteur du milieu du XIXe siècle se scandalise de ce que ce style «hétérodoxe» (fei zhengzong ) fasse fureur auprès des snobs qui s’arrachent ses peintures à prix d’or – propos doublement caractéristique, car il révèle à la fois la vogue dont jouissait cette peinture et l’hostilité qu’elle continuait à susciter chez les critiques traditionalistes. À l’époque contemporaine, la fascination qu’exerce Shitao sur les meilleurs artistes est plus vive que jamais: Huang Binhong (1864-1955) et Qi Baishi (1863-1957) ont souvent proclamé leur admiration pour lui, et leurs œuvres portent témoignage de l’influence libératrice de son art. Zhang Daqian (1899-1983) a étudié son style avec un redoutable succès: un important pourcentage des «Shitao» qui ornent aujourd’hui les musées et les grandes collections particulières sont en fait sortis de son pinceau! Fu Baoshi (1904-1965) a non seulement subi l’influence de Shitao dans sa peinture, mais encore il l’a étudié en historien: la monographie chronologique qu’il a publiée à son sujet reste un ouvrage de base.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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